

Les distances pensent dans les frissons, le radieux.
Henri Michaux
Homère, Gongora, Hölderlin, Leopardi, Rilke, Ungaretti, Mandelstam, Musil – Philippe Jaccottet a réuni par son travail de traducteur toute une constellation de grands poètes ou de grands romanciers autour de sa propre recherche d’écrivain. C’est comme si, de sa poésie à celle de ses prédécesseurs, des sortes de chemins naturellement s’ouvraient, reliant des mondes en apparence très différents.
L’œuvre contemporaine, avec ce qu’elle comporte d’inévitablement fragile, voire d’incertain, va chercher dans la présence parfois si forte des œuvres étrangères une sorte de confirmation où elle appuie son intuition. Du coup, il devient possible de la lire et de la comprendre à travers la loupe des œuvres traduites comme si chacune était le prolongement d’une de ses dimensions.
Ce qui se dessine dans ces rencontres, c’est, en même temps qu’un rêve qui se partage, une conception très cohérente de l’acte poétique et de ses conditions. Il s’y définit comme une façon de faire circuler de la lumière à travers les distances par un usage spécifique de la parole. Quelle que soit la nature de ces distances – spatiale, historique, culturelle, linguistique, affective ou métaphysique – elles ne sauraient être supprimées ni même réduites ; il s’agit au contraire de les faire chanter ou frissonner, de les convertir, ne serait-ce que d’une manière provisoire ou imaginaire, en liens radieux.
D’un de ces regards à l’autre, d’une de ces lueurs à la prochaine étaient des distances tendues comme des fils invisibles, distances qu’il fallait franchir, chemins sombres qu’il fallait prendre une bonne fois pour que l’image reflétée dans le miroir eût un sens – lequel durerait peut-être même quand le miroir, à l’aube, serait brisé par l’irruption d’un nouveau jour.
Philippe Jaccottet
