Nasser Assar


Texte rédigé à l’occasion d’une exposition des peintures de Nasser Assar à la Maison d’Eglise Notre-Dame de Pentecôte à La Défense en mai 2003.

Quiconque s’est une fois planté devant un arbre s’est peut-être étonné que l’arbre ne lui réponde pas tant il paraît parfois être une parole ou sur le point de l’être.

                   Mais il suffit que quelqu’un, quelqu’un d’autre qui passait par là, se soit glissé entre nous et l’arbre, sans se faire remarquer, il suffit simplement qu’il soit là, dans le silence à nos côtés, que d’un geste il nous montre l’arbre et nous dise : «  regarde, il parle » – cela, il suffit que quelqu’un nous le dise – plus exactement nous le montre mais sans nous l’imposer – non pas pour qu’on le croie mais pour qu’on le voie.

                   Et celui-là, cet homme ou ce passant, il a un nom : Nasser Assar. Et il a ce geste par lequel il restitue à l’arbre sa parole empêchée : il peint.

                   Ce que l’arbre nous dit n’est pas tellement son affaire. Il a seulement à nous montrer qu’il avait quelque chose à nous dire – son effort pour se pencher vers nous, sa bouche à notre oreille.

                   Si vous voulez savoir ce que l’arbre avait à nous dire, alors venez. Entrez. Venez écouter sa parole silencieuse qui balbutie dans la peinture si transparente, si fragile et si sûre de Nasser Assar.

                   Il a peint ce souffle qui est sous la parole et d’où toute parole peut-être provient ; il en a rendu visibles les nervures, le feuillage, presque les apprivoisant, les ôtant à la pesanteur jalouse des montagnes alentour qui les retient.

                   Il peint le souffle qui passe entre les lèvres des arbres, qui remue son feuillage, transforme en geste leur élégance debout.

                   Regarder ce paysage où ils se tiennent, c’est, pour nous, sentir une haleine fraîche sur le visage.

                   C’est ressentir le frisson de ce qui approche sans que l’on sache quoi.

                   Quelqu’un est là ou quelque chose, qui respire derrière les branches, entre ces montagnes, qui vient vers nous, qui ne cesse de venir vers nous depuis le commencement, depuis la naissance.

                   Son nom ? Il n’en a pas ; du moins pas encore. Pas même « présence », comme on l’appelle parfois. Il attend peut-être qu’on lui en donne un …

                   Mais ici, il en a deux, même s’ils sont provisoires l’un et l’autre.

                   Il s’appelle « arbres » dans la proposition des circonstances.

                   Et Nasser Assar dans le regard qui les accueille : ce beau nom où, comme dans sa peinture, s’entendent à la fois le hasard et la naissance. Naissance – ce mouvement dans la vie qui sans cesse en redispose les données selon la possibilité d’un sens.

Aquarelle : 65×50 cm.2007. Photographie de Michel N’Guyen

                   Mais sans doute y a-t-il encore un autre nom murmuré par l’arbre.

Celui que chacun porte en lui, peut-être à son insu, et cherche ou bien tait. Celui qu’il a reçu en naissant et qu’il peut retrouver dans le cadre de sa vie s’il y consent. Celui que dans les grands moments d’émotion on est tout près de prononcer pour nous même ou pour nos proches et qui a ici, dans cette peinture, sa place : ce blanc au fond d’elle éparpillé.

                   C’est dans les murs de La Défense entre ces tours comme une trouée, sur toutes ces vitres, toutes ces façades, comme une buée et pour nous qui passons par là dans la foule un appel muet. Quelqu’un, dirait-on, se retourne et nous fait signe, nous invite à le suivre, indiquant la direction d’une échappée, une issue secrète au fond du paysage, non pas pour le quitter mais pour l’habiter mieux, de l’intérieur et non pas du dehors comme à l’ordinaire quand on ne fait pas attention, ni à lui ni à ce qui est.

                   Ce sont des paysages des montagnes du Vaucluse ; cela pourrait être ailleurs. Mais ce sont des lieux bien réel, qui existent. Dans la poussée lente du granit, un poing qui s’ouvre en main et qui propose. Il y a cette offrande en forme d’arbres, cette parole de feuilles et de branches avec des couleurs vives ou sombres, jamais violentes, et ce tremblement en elles de la lumière blanche.

Photographie de Michel N’Guyen

                   Quelque chose brûle sans faire de mal, une incandescence douce.

                   Ou bien quelqu’un avec ces feux

                   qui nous enverrait des signes, des appels.

                   Suspendus au bord de la montagne ou ici même au creux de ces tours , il y a ces gestes d’arbres qui nous disent :

                   « Viens, tu trouveras une pause, un silence, quelques présences précises sous forme d’arbres. Elles ne tiennent peut-être pas tout entières en elles-mêmes, mais c’est ainsi qu’elles nous invitent à les suivre par où elles s’échappent ou d’où elles naissent, vers le souffle là-bas qui s’exhale et d’où tout peut-être ici procède. »

Jean Marc Sourdillon

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