À propos

Jean Marc Sourdillon, Eléments biographiques

Avril 1961. Naissance. Il ne s’en souvient pas. Pourtant il y était. Il sent encore parfois sa poussée, notamment lorsqu’il écrit.

Petite enfance dans la région parisienne, sur les bords de la Seine. Une lumière vient de là. Qui éclaire encore. Du côté du père, famille nombreuse très liée autour d’une des sœurs qui souffre d’un grave handicap. Du côté de la mère, famille d’origine juive qui a traversé l’occupation en se cachant dans un hameau de Corrèze et a tiré de cette période une étrange sorte d’énergie heureuse et communicative.

Le père est ingénieur. Dans l’équipe de Jean Bertin, il travaille au projet de l’aérotrain, ce train posé sur coussin d’air et qui glisse sur un rail en T renversé. On voit encore des vestiges de ce rail le long de la ligne de train Paris-Orléans. La mère est documentaliste, spécialisée dans la littérature de jeunesse. C’est elle qui lui apprend à lire et à écrire, avant l’entrée à l’école.

Trois sœurs, il est l’aîné. Son père, l’une de ses sœurs jouent du violon. Une autre de la flûte traversière. La troisième chante avec sa guitare. On écoute beaucoup Mozart et Beethoven à la maison. On aime chanter. On y fait beaucoup de théâtre aussi. On joue Molière pendant l’été. Cela fait naître des vocations.

Découverte de la poésie très tôt pendant l’adolescence. Rimbaud, Pablo Neruda, René-Guy Cadou sont les premiers poètes qui ont compté. La lecture des romans d’Emile Ajar, capitale également. Et la découverte des films de Chaplin (Les Temps modernes ).

Premiers poèmes dans le sillage de ces lectures. Certains sont publiés dans une revue pour jeunes à l’occasion d’un premier prix qu’il reçoit à 16 ans. Difficile de juger des textes qu’on a écrits jeune. Ils étaient nécessaires et tirent de cette nécessité, même longtemps après, une certaine force malgré leur fragilité.

A partir de ce moment, ça y est, il se considère comme poète, avant tout comme poète et ça dure encore. Il écrit beaucoup, surtout dehors pour se retrouver à l’intérieur. Il a trouvé tout à la fois sa boussole, son fil à plomb et sa corde de rappel. Il peut s’orienter dans sa vie.

A seize ans, découverte des Cévennes qui  sont dorénavant sa région mentale. Monde sauvage, le Sud, les transhumances, la verticalité, les torrents, les murets, les terrasses, les terribles orages, l’odeur du thym et de la citronnelle, l’ombre des châtaigniers, les montagnes en plans étagés, le chaume et le schiste, leur sécheresse, leur façon de briller, la poussière dorée sur les drailles, l’intensité des bruyères et du bleu du ciel au-dessus des montagnes etc… Rencontre d’une famille de bergers, amitiés. Tout cela forme une sorte de paysage vivant qui s’intériorise et vient soutenir le décor quotidien, à dominante urbaine. Il habite dans la superposition des deux, quelque part dans les hauteurs entre la montagne et la banlieue, la Défense et la Vallée française.

L’une de ses promenades favorites est sur la passerelle au-dessus de la Seine. De là on voit les tours de la Défense sous les nuages sombres et le ciel qui s’élargit loin là-bas en estuaire du côté de la mer. Sous ses pieds, on voit passer les lourdes péniches qui ont une démarche de femme enceinte.

Il prend un livre, presque au hasard, dans la bibliothèque municipale où il se rend souvent : Lettres à Marthe, de Joë Bousquet,  poète amoureux de 20 ans blessé d’une balle à la colonne vertébrale au cours d’une bataille en 1918 et qui a vécu paralysé le reste de sa vie à Carcassonne. Lecture aussitôt après de Traduit du silence qui façonne durablement sa manière de penser et d’envisager sa vie. La poésie y occupe une place prépondérante. Elle est l’instrument qui permet d’entrer dans sa vie réelle par le biais de l’événement. Elle fait de la vie la plus simple une suite discontinue d’événements énigmatiques qu’il faut déchiffrer et qui conduisent vers une sorte d’accomplissement intérieur.

 Bac scientifique. Aime beaucoup la biologie, son vocabulaire concret.

Entre en hypokhâgne. Découverte de Hölderlin, de Rilke, des romantiques allemands. Commence à lire Philippe Jaccottet.

Voyages en Europe, avec le billet inter-rail, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, et la Yougoslavie (à l’époque du rideau de fer), La Grèce, l’Italie. Traverse l’Espagne et le Maroc en voiture pour aller au Sahara. Découverte éblouie. Presque un pôle intérieur.

Un peu déçu par l’enseignement des lettres en khâgne et à l’université. La littérature et la poésie, dans ces années-là, y sont toujours envisagées à partir d’autres choses qu’elles-mêmes et mises au service de l’histoire, des sciences du langage, du structuralisme ou des sciences humaines. Ce que Roland Barthes appelait « une euphorie de la scientificité ». Lui ce qu’il recherche, c’est le point de rencontre entre la poésie et la vie. Lit Henri Michaux, Guillevic, René Char.  Suit avec passion le séminaire de Jean-Pierre Richard qui est et restera un maître. L’accent est mis sur la sensation, la façon dont une pensée, un rapport au monde peuvent s’incarner dans la vie sensible. Suit parallèlement les cours d’Yves Bonnefoy au Collège de France. Un proche se donne la mort. Longue traversée d’un désarroi intérieur. Sentiment d’une « déhiscence » prolongée. Le temps des aliénations.

Ecrit à Philippe Jaccottet. Est invité à passer trois jours chez lui, à Grignan, dans son cabanon. Rencontre décisive. Quelque chose comme la découverte d’une sorte de maître (un maître en « démaîtrise »). Il apprend désormais à regarder attentivement ce qui l’entoure, le plus immédiat et le plus ordinaire, pour en recueillir la part d’horizon et de lumière. Met le cap sur sa vie concrète.  Rédige son mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Pierre Richard sur éthique et esthétique dans l’œuvre de Philippe Jaccottet, à travers le motif de l’errance.

Rencontre un autre poète qui va beaucoup compter pour lui, Jean-Pierre Lemaire. Début d’une longue relation d’amitié, et d’une conversation qui le nourrit.

Rédige des notes de lecture pour la toute nouvelle revue de poésie Recueil, qui deviendra Le Nouveau Recueil par la suite. Jean-Michel Maulpoix, le directeur de cette revue, devient lui aussi un ami plus âgé et un interlocuteur privilégié. Premiers poèmes publiés dans sa revue : « L’exigence de Prague ».

Lit les poètes russes, Pasternak, Mandelstam, Tsvétaïeva. Ecrit sur eux. Est ébloui par La correspondance à trois (Rilke, Pasternak, Tsvétaïeva), ce qu’il a lu de mieux sur la poésie jusqu’à aujourd’hui. S’éprend de Prague, la ville des trois K : Rilke, Kafka et Kundera et de Mozart. Aime aussi beaucoup Rome, les anges du Bernin et les  « gelati » de la place Navone. Passe de l’une à l’autre de ces deux villes, deux pôles opposés de sa vie intérieure. 

Découvre avec beaucoup d’étonnement la joie qu’il y a à enseigner alors qu’il ne se croyait pas fait pour ça.

Vit deux ans à Madrid, dans le cadre de la coopération. Il enseigne à l’Institut français. Crée une rencontre entre jeunes poètes français et jeunes poètes espagnols. Se sent aussitôt madrilène. Beaucoup d’amis. Madrid a été pour lui une sorte de matrice où il s’est refondu. Découverte de l’Espagne, de la vie espagnole, de l’Andalousie. Le pays où l’on ne se sent jamais seul. Quelque chose de solaire dans sa mémoire, de sec et de roboratif.

A son retour d’Espagne, décide après y avoir longuement réfléchi d’enseigner au lycée pour handicapés de Vaucresson. Joë Bousquet entre sans doute pour beaucoup dans cette décision. Une bonne partie des cours se donne au chevet des élèves à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Si les médecins sauvent la vie de ces adolescents, son rôle à lui est de la leur  rendre désirable et belle grâce à la littérature, et de les aider à lui trouver du sens. Expérience déterminante à de multiples points de vue. Il rencontre là celle qui deviendra sa femme, KT, peintre aquarelliste. A partir de là, tout commence vraiment.

Mariage. Naissance de ses enfants. La poésie fait  naturellement irruption dans sa vie la plus concrète. Cela ressemble à une sorte de conversion : c’est-à-dire que quelque chose qui était déjà là dans vie mais dont il n’avait pas conscience se révèle soudain avec la force d’une évidence grâce aux événements dont il est le témoin et grâce à certaines lectures brûlantes qu’il fait dans le même temps. Que découvre-t-il ?  – Le fait de naître ; qu’en naissant nous n’avons pas fini de naître, que nous ne faisons que commencer, et que naître est notre tâche. L’écriture poétique devient une manière d’explorer cette intuition dans la vie concrète et de travailler à la naissance.

Soutient sa thèse de doctorat en littérature comparée à la Sorbonne. Sujet : Philippe Jaccottet et les poètes qu’il a traduits (Homère, Góngora, Leopardi, Rilke, Musil, Mandelstam, Ungaretti).

Découvre en lisant un article du journal Libération signé Robert Maggiori l’existence de la personne et de l’œuvre de María Zambrano, philosophe espagnole (madrilène) qui ne cesse de penser en même temps la poésie et la naissance. Les grands thèmes de sa vie entrent en résonance avec cette pensée et il décide de la traduire en français avec l’aide de son ami Jean-Maurice Teurlay, rencontré à Madrid. C’est aussi une manière pour lui de continuer d’être madrilène et de conduire jusqu’à son terme le séjour en Espagne. Deux livres de ces traductions paraissent aux éditions Jérôme Millon. Une phrase de María Zambrano lui a servi de guide toutes ces années :  » Tout est révélation, tout pourrait l’être si on l’accueillait à l’état naissant. » Peut-être l’avait-il croisée autrefois sans le savoir à Madrid sur un trottoir ou dans l’une des allées du parc du Retiro.

Devient professeur en classe préparatoire dans la région parisienne. Hypokhâgne d’abord, khâgne ensuite. Quelle chance d’enseigner dans de pareilles conditions : chaque matin, en cours, on va à plusieurs vers le mystère de la vie à travers le mystères des textes. Emménage avec sa famille et ses deux chats à Poissy, dans une petite maison avec une cheminée  en lisière de la forêt. Aime à s’y promener le soir ou le matin très tôt pour y surprendre les chevreuils. Parfois des sangliers ou un renard. On y voit tellement bien le ciel nocturne en décembre. C’est là qu’il cherche ou reçoit ses mots.

Passe une semaine seul chaque été dans les Cévennes.

Rencontre le peintre Gilles Sacksick à l’occasion d’une de ses expositions, dans le Cantal à Laroquebrou. Début d’une belle amitié, d’un dialogue entre la poésie et la peinture et de nombreuses réalisations communes.

Participe, en compagnie de José-Flore Tappy, Hervé Ferrage et Doris Jakubec, à l’édition du volume des œuvres de Philippe Jaccottet dans la Pléiade. S’il fallait retenir une seule leçon de l’oeuvre de Jaccottet, ce serait celle-ci :

La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écrit naisse naturellement. C’est cela qui est presque impossible aujourd’hui ; mais je ne puis imaginer d’autre voie. Poésie comme épanouissement, floraison, ou rien. Tout l’art du monde ne saurait dissimuler ce rien.

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